Montréal | FESTIVAL MODE & DESIGN | ÉTÉ 2014
RYKIEL, RÉELLE, EN ALLER-DÉTOURS À MONTRÉAL

Nathalie Rykiel a la passion de la mode en mots.
Présidente d’honneur du Festival de Mode et Design 2014, elle représente encore la France, après Jean-Charles de Castelbajac l’an dernier.

Pour sa quatorzième année, ce rendez-vous estival de la grande distribution, du prêt-à-porter, et des jeunes créateurs s’est offert deux nouveaux écrins: L’Esplanade de la Place des Arts pour environ 50 spectacles à ciel ouvert, près de 300 participants et 550 000 visiteurs attendus et le Musée d’Art Contemporain pour les conférences animées par Stéphane Leduc, rédacteur en chef du Dress To Kill Magazine, lieu de ma deuxième rencontre avec Nathalie Rykiel à sa conférence, qui fait suite à son livre, L’Élégance, en 2013.

Préalablement, j’ai rencontré son livre. Il est des livres qu’on préférerait ne pas écrire. Mais la misère de notre temps est telle que Nathalie s’est sentie obligée de nous interpeller, surtout quand on cherche trop à nous convaincre de l’absence de toute révolte.

Pour ce qui est de l’intrigue, une jeune fille, Nathalie, determinée, sensible, et curieuse se trouve au diapason de l’héritage d’une Maison de mode. Vivant les fresques-frasques de sa mère, elle a maillée sa vie de femme-femme. Et c’est le prétexte à un formidable voyage au pays des pans de beauté insoupçonnés pour explorer le sens de l’esthétique et l’esthétique des sens.

Est-ce le fil du raffinement qui retient le cerf-élégant de ce que nous sommes ou est-ce l’envol du cerf-élégant qui donne au fil sa tension particulière? L’Élégance est un fourre-totems avec ses France, Jean-Claude, Marianne, Sylvie (Guillem), Claire (Brétécher), Valérie (Bélin), Émile (Cioran), Cedric (Villani), Arthur (Nauzyciel), Emmanuel (Carrère), Pascal (Cribier), Pierre (Hermé) et Olivier (Saillard). Constitué d’une dizaine de contributions, ce livre balaie un spectre très large. Des observations sur la langue des mathématiques («l’élégance de la méthode») côtoient des réflexions sur la danse (« Ghislaine Thesmar. Raffinée, intuitive, fragile.»), une tentative de réhabiliter des ailleurs assoupis tels Adèle Hanael ou Emile Cioran («Le scepticisme est l’élégance de l’anxiété») alterne avec des attaques contre le «personal branding» et l’appauvrissement de nos horizons personnels et culturels. Vies, amitiés, quotidiens se délectent de scènes, photographies, danses, proses, équations et jardins de modes. Nathalie Rykiel a misé moins sur la poésie proprement dite que sur l’insurrection lyrique qui en est à l’origine. Elle a réussit à embraser le paysage du vrai, du sincère, du ressenti, du moral, du souffert, du chic, du démodé, et du smexy. Smexy? Oui, le Smart and Sexy.
Aparté. Smexy (Smart & Sexy), Amazible (Amazing & Incredible) et Cutiefly (Cute & Fly) sont les mots d’outre-maille qui saupoudrent la pré-collection Automne Hiver 2014-2015 Sonia Rykiel. La réponse est plurielle, démontrée, articulée.

L’Élégance, au verso, est le tricotté serré de la famille Rykiel.

Il y a Jean-Philippe Rykiel, frère de Nathalie, de courage et de piano.
Et Tatiana Burstein, fille de Nathalie du zen et yogini.
Et Lola Burstein-Rykiel, fille de Nathalie et de l’amour-pour-tous! et relève de la maison.

Et Salomé Burnstein, fille de l’écrit et petite-fille de Joan Burstein, l’autre mamie, Brit, de la mode.
Et enfin SONIA RYKIEL. La “Mère veille”, la muse, la séductrice, le gâteau îvre.

Dans un style parlé, sa fille Nathalie image les mots. Son écriture est courante, comme un défilé Rykiel; une écriture presque distraite, pressée d’attrapper que de dire, de montrer que d’écrire. Les textes, entrevues et les métaphores sont frères et soeurs, mamans et filles, féminins et masculins, copines et confidentes. “Ce qui est montré ne peux pas être dit” écrivait Wittgenstein.

Avec Nathalie Rykiel, ce qui est montré peut être dit, mais parce que ca n’est pas montré; ca n’est que dit. Elle creuse les ruines de sa propre Troie. Sur la crête des mots, quelque chose tient et emporte jusqu’à faire apparaître un être-savoir du savoir-être qui n’est pas plus de l’autre que de soi. Mais sûrement en deçà de ce que l’auteure expose. Éloquent scénario à une époque où l’humain est obnubilé par les 140 des Tweets et les Instas des photograms!

Qu’est-ce que L’Élégance? Nous sommes au Musée de l’Art Contemporain. Nathalie Rykiel est Très Noir de Smexy dans sa veste taille de guêpe, pantalon, et mules aristocra-chic transparentes, un must de l’été 2014 (j’adore!), un air Colette. La salle est fébrile. Stéphane Leduc, Boy Capel de chez nous, avec sa cravatte écharpe thin, est ému. Sourires aux lèvres, il nous guide à travers la biographie de l’invitée. Son aventure créative est unique. Des images défilent en arrière plan, celles du documentaire LE JOUR D’AVANT de Loïc Prigent qui repris, en 2011, le flambeau là où Frédéric Mitterrand s’arrêta, en 2008, avec son documentaire FEMPREINTES
SONIA RYKIEL L’INTRANQUILLE
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Le public est conquis. Nathalie a l’élan fidèle qui s’arc-boute gracieusement sur son fauteuil. La gestuelle en kyrielle. Son verbe? Sonia Rykiel. Quel dame, fichtre! Rousse. Farouche. La darling de la mode parisienne est une emotion plurielle, ainsi extirpée de la logique des saisons et collections.

Avec le naturel des collections qui reviennent chaque saison, les couturiers se glissent entre leurs rêves. La réalité qui les attend, ils et elles savent encore la replier comme une laine. Rien ne leur est moins lointain que le ciel dans les flaques d’eau, comme lors de leur hommage collectif à Madame Rykiel pour les quarante ans de la maison, Printemps Été 2009. Au passage de Martin Margiela, mes frissons sont des larmes, celles de la poésie de raconter en un coup de manteau une Femme. En Majsucule. En Majesté.

Nathalie Rykiel puise le plus souvent ses références dans le realisme des ses propres experiences comme son aventure du parfum Rykiel Rose où (à la feu Yves Saint Laurent en 1971 – sans le nu – pour son premier parfum .. “Pour Homme”) elle fit la réclame, oui la patronne. Ou encore l’audace du sex sous-sol de la boutique de la rue de Grenelle pour godemichets et petits canards de Sonia Rykiel pour faire du sexe un manisfesto chic : “Tout tout le monde faisait la .. queue.”. Climax dans la salle Beverly Webster Rolph!

À la session des 3 questions, je m’enquerrais de l’actualité de la maison avec l’arrivée de Julie de Libran (Versace, plus de dix ans passées chez Prada, et Louis Vuitton avec Marc Jacobs) et le parcours loyal de plus d’une décénie de Gabrielle Greiss. J’omis par volonté la brève parenthése Geraldo da Conceicao, pourtant Canadien. “Gabrielle a fait un travail remarquable chez Sonia Rykiel avec une attitude dédiée à aider ma mère a porter la femme Rykiel. Quant à Julie, je suis persuadée de toute la quantité de contour et de relief qu’elle apportera grâce à sa vision.” Traduisez: Seventies are back!

Julie de Libran est née dans les années soixante-dix, habite Saint-Germain, fief de Sonia Rykiel, a une competence couture conjuguée à une experience “des grands groupes de luxe” chère à Nathalie Rykiel, celle qui a su imposer la continuité d’une griffe à l’histoire familiale singulière.

Atouts inédéniables, de part et d’autre, que ces femmes nous rameneraient au plus loin de ce système-mode, c’est-à-dire au plus près de ce qui leur importe, très précisément là où se formentent les rêves dont Sonia Rykiel, Nathalie Rykiel et Julie de Libran sont faits. Quant à la méthode pour s’en approcher, il la faudrait indissociable d’une vision qui n’existe, qu’à se déplacer d’interrogations formulées dans une mode à la réponse déjà trouvée, saison après saison. Le sourire approbateur de notre Jean-Claude Poitras Québecois est révélateur.

Au cocktail, Nathalie Rykiel demande à me voir. “Alors Alessandro!” La voix est enjouée, énergique, charmante, elle est d’une grande gentillesse à mon égard, extrêmement agréable, courtoise:

– Alessandro Berga: Au fond l’élégance n’est-elle pas dans la pudeur de France, de Jean-Claude, l’infirmière et le pédiatre?

Nathalie Rykel: L’élégance est morale, avant tout. Celle de l’humain dans son humanité, dans son rapport à l’autre. Dailleurs, je l’ai un peu surnommée France parce qu`à traits, elle lui ressemble.

Silence. C’est une femme chez qui le silence est au moins aussi important que les paroles.

NR: L’élégance, c’est aussi la surprise de l’émotion.
– AB: Je vous souhaite que Salomé rejoigne Lola dans son désir de travailler en tandem pour la la relève de la maison. Ce serait formidable non?

NR: (Sourires) Salomé est plus dans l’écrit. Je ne suis pas sûre. Mais qui sait? (Silence) Peut-être..
– AB: Je vous ai concocté une Prose de Proust!

- NR: Une prose de Proust? À la (Bernard) Pivot?

- AB: Non. (Sourires) Je connais votre amour pour les mots que je voulais vous faire déguster.

NR: (Sourires) Allons-y !

– AB: Floconneuse?
- NR: (Ses yeux de brune esquissent un sourire espiègle, chez les Rykiel la séduction est un étendard.)
– AB: N’oubliez pas que je joue (Le livre de Sonia Rykiel avec Judith Perrignon)

- NR: Si vérité avait une forme, ce serait cela. (Silence, tout deux sommes émus)
– AB: Morales Murales?
NR: (Pensive tout en souriant) Pas mal .. pas mal ..

Je prend congé.

Lourd légers. Légers lourds. En cinq minutes, c’est ce décalage qui résume Nathalie Rykiel.

Elle, qui pour mieux se moquer du ridicule de notre temps et s’insurger contre les inélégances de notre société, le fait avec un esprit critique aiguisé sans manquer jamais d’humour. Quelles sont les lois d’un genre qui suscite toujours d’innombrables conquêtes dans le monde par nous tous? Retour du refoulé? On peut aussi écrire sans souffrir, sans trop souffrir. Ruse de L’Élégance ou avant-goût du Romantisme? Pourquoi n’y aurait-il plus d’êtres assez déterminés pour s’opposer au système de crétinisation du goût dans lequel l’époque puise sa force consensuelle? Pourquoi n’y aurait-il plus de jeunes gens assez passionnés pour déserter les perspectives balisées qu’on veut leur faire prendre pour la finesse? Autant de questions qui lui sont une raison de ne pas garder le silence.

Elle a exploré nos paysages imaginaires et tenté de comprendre ce qui se cache sous les dramaturgies de morale de la beauté. Son envie d’en découdre avec les modes et intellects de notre époque et avant cela de son époque s’exprime avec panache. Comme disait Victor Hugo: “Allez au-delà, extravaguez”.

Sonia Rykiel, Nathalie Rykiel, et Lola Burnstein-Rykiel n’ont prétendu à rien d’autre.

Pour une femme qui ne change pas, mais qui avance dans ses souvenirs du futur.

Alessandro Berga | L’Éditor

Portrait Nathalie Rykiel par Sébastien Laloy